La maison des éditions est un laboratoire improbable, un atelier d’artistes et un studio de design, un collectif à la géographie hétéroclite et approximative, un tube digestif éditorial de mots, d’idées, de sons et d’images. Le collectif est le commissaire de l’exposition Volumes présentée à la Bibliothèque universitaire, deuxième édition d’un projet inauguré en 2018 au Bel Ordinaire, espace d’art contemporain de la communauté d’agglomération Pau – Béarn – Pyrénées.
La Maison des éditions
Vous dites que la maison des éditions est un « laboratoire improbable ». Pouvez-vous nous parler de l’organisation de ce collectif, des compétences que l’on y trouve, de la somme d’individus qui le compose ?
La maison des éditions est un collectif fondé en 2011 par une dizaine de designers graphiques, d’artistes et de créateurs de la région paloise. Nous nous sommes associés dans le but de mutualiser nos ressources, nos énergies et nos questionnements, en nous rassemblant autour de la question de l’édition, entendue comme le processus patient de préparation, de “raffinage” d’un objet, d’une idée ou d’un texte, menant à sa publication. Nous sommes designers, artistes, développeurs, bricoleurs, enseignants, architectes, vidéastes, musiciens ou couturiers ; nous faisons des images, du skate, de la signalétique ou des barbecues. Il y a de l'improbable dans cette réunion, au sens d'une incertitude fondamentale mais aussi d’une ouverture vers des possibles. Associés depuis ses débuts au projet du Bel Ordinaire, espace d’exposition et de création en art et en graphisme de l’agglomération paloise, nous y occupons un atelier et participons régulièrement à sa programmation artistique, notamment pour les expositions Les motifs du travail en 2013, Écoutez voir ! en 2015 (consacrée aux relations entre design graphique et musique), et plus récemment, pour la première édition de l’exposition Volumes, qui eut lieu au Bel Ordinaire d’avril à juin 2018.
« La forme, c’est du fond qui remonte à la surface » Victor Hugo. Quelles sont vos méthodes de travail avec vos commanditaires ?
C’est toujours le contexte qui guide nos choix et nous permet de déterminer nos positions et notre méthode. Nous n’avons pas de recette mais cherchons à comprendre le contexte de nos projets en profondeur, qu’il soit de l’ordre d’une commande en design, d’une carte blanche pour une exposition ou une expérimentation collective. Cette question est commune aux artistes et aux graphistes (et à toutes les nuances de nos composantes) ; y répondre précisément nous permet de créer des relations de confiance et de compréhension mutuelle avec nos commanditaires et partenaires. Une fois le projet défini, nous nous y dédions avec radicalité et engagement, depuis sa conceptualisation jusqu’aux plus infimes détails de sa réalisation, ayant à cœur de produire un ensemble global cohérent et parfaitement fini. En tant que designers, nous intervenons sur de nombreux types de projets, du print à l’édition, du web à la signalétique, de la sérigraphie à la scénographie.
« Nous cherchons l’erreur, l’accident de parcours, le biais, la confrontation déraisonnable et la rencontre féconde ». Ce pas de côté guide-t-il votre mode de création ?
La “confrontation déraisonnable” est effectivement souvent à l’œuvre et opère parfois plus qu’il ne serait souhaitable ! Les longs et puissants débats qui animent les sessions de travail autour de nos projets permettent à chacun de se confronter à des points de vue divergents, voire opposés, tout en permettant que se dessine un chemin commun, fait de choix et de consensus mais pas de compromis. Si nous partageons une large culture commune et que les liens entre nous sont forts, nous cultivons un intérêt pour le dialogue conflictuel et fécond, la dispute dans son étymologie première. Nous menons ainsi régulièrement des projets auto-commandités, collectivement ou en petits groupes qui nous permettent d’expérimenter et de mettre à l’épreuve les synergies qui opèrent dans le travail collectif.
Au sein de l’exposition, la sélection ne fut pas seulement guidée par la dimension visuelle des ouvrages ; on y sent un rapport au toucher, aux odeurs, aux sons.
En plus d’être nourris par les approches discursives que nous avons évoquées, les projets collaboratifs — qu’ils soient liés à la commande ou non — que nous menons au sein de la Maison profitent d’une multiplicité d’approches “sensorielles”, liées bien sûr aux pratiques et aux savoirs-faire des uns et des autres, mais aussi à leurs sensibilités propres, à des intimités nouées avec la matière, l’espace, le son, le volume, la circulation des êtres et des savoirs, avec nos relations au temps et au travail respectives et la qualité des temps de travail que nous passons ensemble.
La multiplicité des points de vue et des expériences ouvre des perspectives dans le développement des projets qu’il serait peut-être difficile d’appréhender seuls.
Dans le cas de l’élaboration de projets d’expositions tels que Volumes, nous sommes à chaque fois à l’écoute des désirs et intuitions de chacun des protagonistes. Le commissariat est forcément partagé et envisagé de manière globale, voire totale. Tous les aspects du projet sont envisagés dès les premiers instants, sans que l’une ou l’autre des contributions ne soit mise en servitude ou en attente.
Cela complique un peu les choses, mais au final les décisions qui sont prises sont toujours légitimées par la confiance et le respect que nous éprouvons les uns pour les autres.
Nous sommes aussi ouverts à la surprise de l’apparition d’une proposition tardive, heureux que la singularité des apports des uns et des autres participe à la cohérence globale et à la générosité du projet.
Cela en fait des objets forcément hybrides, « ouverts au(x) public(s) », ouverts à des regards non spécialistes, accessibles ou appréciables depuis différents endroits, qui expriment leurs singularités au delà de nos spécialisations réunies.
Se retrouver autour du livre, objet qui nous lie à différents niveaux et crée du commun entre nous, mais pour lequel nous nourrissons des intérêts et des sensibilités variées, nous a semblé une belle opportunité d’expérimenter une approche multisensorielle aussi bien que multidimensionnelle de l’exposition.
Vous êtes designers et artistes, mais à l’occasion de cette exposition, vous avez endossé le rôle de commissaire d’exposition. Comment abordez-vous ce rôle ?
Très tôt dans l’histoire de la Maison des éditions, les designers du collectif ont ressenti la nécessité de rendre perceptible au plus grand nombre la réalité de leurs pratiques. Cette envie venait à la fois d’une problématique économique (mise en visibilité d’un réseau riche de nombreux designers indépendants) et culturelle (montrer des formes contemporaines, exigeantes et ambitieuses de design graphique). Associés au Bel Ordinaire, dans le cadre de nos projets de commande, ou au sein de l’École supérieure d’art et de design des Pyrénées où certains d’entre-nous enseignent, nous essayons régulièrement de contribuer à cette mise en visibilité du design graphique.
L’exposition Volumes cherche à rendre accessible à tous la richesse de la production éditoriale contemporaine, particulièrement du point de vue de ses acteurs indépendants. Les éditeurs sélectionnés sont tous résolument attachés à la qualité sensible des objets qu’ils produisent, réunis par la passion et l’engagement qu’ils déploient au service de ces objets et de leurs lecteurs.
Nous avons choisi de montrer le moins possible de livres sous vitrine afin de les rendre pleinement disponibles pour les visiteurs, leur offrant la possibilité de saisir la globalité de ces objets « totaux » que sont les livres, dans leur poids, leur structure, la couleur de leur papier ou l’odeur de leur encre comme dans leur qualité graphique et typographique.
Sans prétendre à une exhaustivité inaccessible, nous avons essayé de rendre compte d’un large panorama de l’édition indépendante, de l’édition jeunesse à la littérature, des sciences humaines au design graphique, en passant par l’art, la photographie ou l’architecture, tâchant de montrer que l’exigence peut-être à l’œuvre quel que soit le champ éditorial quel que soit le prix d’un ouvrage, son tirage ou sa diffusion.
Si au Bel Ordinaire nous avons assuré nous-même la conception scénographique, au Havre, c’est aux mains et à l’œil expert de Jean Schneider qu’elle a été confiée, lui laissant carte blanche pour ce difficile exercice d’exposer des objets aussi communs que les livres, et le laissant assumer la gageure de le faire dans une bibliothèque ! La sélection de livres conçus par Irma Boom avait fait à Pau l’objet d’un choix engagé, sculptural, très représentatif de la manière dont nous pensons l’exposition de manière collective, affirmant pour chacun d’eux sa dimension architecturale singulière. Nous sommes honorés que le principe en fut repris par Jean, et que se prolonge notre envie de porter la question de l’édition au delà de ses acceptions les plus évidentes.
— Entretien de Thomas Pelletier avec Julien Bidoret, Jean-Marc Saint-Paul et Claire Colnot pour Une saison graphique.
Aller plus loin
Les labels et éditeurs
Allia, B2, B42, Book Works, Browns Editions, Cent pages, Dilecta, Éditions 205, Éditions du livre, Éditions MeMo, Éditions Non Standard, Four corners books, Hélium, L’Arachnéen, L’Agrume, L’Échappée, Le Rouergue, Le Tripode, Les éditions de l’Épure, Les Fourmis Rouges, Macula, Manuella éditions, Milimbo, Monsieur Toussaint Louverture, Nai010, Nieves, One stroke, Onomatopee, Open editions, Patrick Frey, Penguin Books, Planeta Tangerina, PPAF éditions, Roma publications, RVB Books, Spector Books, Spheres, Tombolo Presses, Tusitala, Unit editions, Visual editions, Ypsilon, Zones Sensibles, Zulma, Infinite Greyscale, Dust to Digital, Entr’acte, Faitiche, History Always Favours The Winners, Nashazphone, NNA Tapes, Preservation, raster-noton, Rune Grammofon, Touch, Winds Measure Recordings, Where To Now? et Irma Boom.